La belle bleue by Yvan Audouard

La belle bleue by Yvan Audouard

Auteur:Yvan Audouard [Audouard, Yvan]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fixot


7

Je suis dans le chaudron du missionnaire. Je mijote à feu doux dans le clapotis d’un court-bouillon brunâtre. Cela fait comme un bruit lointain de tam-tam cannibale. Sur le programme des réjouissances, cela s’appelle « le bain d’algues bouillonnant ». Je cuis dans mon jus. Je dois être tendre à point. Suis-je devenu comestible ? Brigitte me réveille :

— Terminé, dit-elle… Demain dix heures trente…

— Oui maman, dis-je.

Je suis tout nu.

Je me hâte d’enfiler mon peignoir. J’y prends une pièce de cinq francs. J’en prépare six tous les matins que je distribue à chacune de ces mères de famille en slip sous leur blouse bleue qui me pouponnent avec indifférence pour pouvoir élever leurs propres enfants.

Merci mon fils, dit Brigitte avec un sourire absent.

J’étais descendu à Quiberon (Morbihan). Le tram n’allait pas plus loin. Il pleuvait à verse. Je me suis précipité à l’abri dans un taxi. Le chauffeur s’est mis en route sans rien me demander. Les événements s’enchaînaient comme si quelqu’un avait organisé le voyage pour moi. Le conducteur n’a ouvert la bouche qu’au moment où son véhicule s’est arrêté devant un hôtel. Un scrupule de dernière minute lui était venu.

— C’est bien là que vous allez ?

Je n’avais pas de raison de contrarier un homme aussi obligeant. Il ne me réclama d’ailleurs pas le prix de sa course. Un portier avait ouvert la portière en soulevant sa casquette. Il la remit pour avoir les mains libres et se charger de mes deux valises. J’avais l’impression d’être moi-même un colis accompagné.

Je n’allais pas m’en plaindre. Je trouvais ici ce que je n’avais pas consciemment cherché, mais qui convenait le mieux à mon état. Tout le monde me souriait et me parlait d’une voix douce. On dut me poser un certain nombre de questions que j’entendis à peine. J’acquiesçai en tout cas à toutes les propositions qu’on me fit.

Dix minutes plus tard je me retrouvai en caleçon devant une dame à forte poitrine. Visiblement, je lui posais problème. Elle n’avait pas l’habitude d’accueillir des gens qui ne savaient pas pourquoi ils étaient venus lui rendre visite. J’attendais d’elle qu’elle me le révélât.

— Avez-vous apporté vos analyses ?

Elle semblait tenir à ce que ma présence ici ait d’autres motifs qu’une incurable angoisse existentielle. Je ne voulais pas décevoir quelqu’un qui semblait aussi désorienté par mon désarroi que par mon apparente santé :

— Je vous fais confiance, lui dis-je.

Cela redoubla son embarras. Elle poursuivit :

— De quoi souffrez-vous au juste ? Vous n’êtes ni obèse, ni arthritique ?

— J’éprouve comme une difficulté d’être… lui dis-je.

Son visage s’épanouit.

— Confiez-la nous, dit-elle, nous sommes là pour ça…

J’allais déjà nettement mieux.

— Vous avez besoin d’un nursing intensif…

C’était la première fois que j’entendais ce mot. Je ne sais toujours pas exactement ce qu’il veut dire. Mais cela convenait parfaitement à mon état. En gros, il suffisait de se laisser prendre en charge par d’autres. Le gang des blouses blanches et bleues sur lequel j’étais tombé par inadvertance prenait le relais de la bande à Ludovic



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